J’ai déjà averti que le récit de mon voyage serait décousu! Un vrai voyage ne suit pas nécessairement un itinéraire précis; parfois on se promène, on voit quelque chose qui n’était pas prévu au plan et on fait les plus belles découvertes! Je me permets donc m’égarer un peu dans mon billet d’aujourd’hui et de changer de sujet, tout en restant assez près de la pandémie.
J’ai envie de vous parler de mon métier de chanteuse!
– Quelle est votre profession ?
– Chanteuse
– Et vous avez un autre emploi ?
– Non
– Vous êtes connue ?
– Je ne suis pas une vedette !!! Mais je suis connue dans le milieu marginal de la musique classique…
– Ah… et où chantez-vous ?
– Surtout dans les chœurs, mais aussi un peu de solo, musique classique, mais aussi d’autres styles…
Après avoir terminé un baccalauréat en enseignement de la musique, je me suis mise en mode recherche d’emploi. L’idée d’enseigner la musique dans des classes au primaire ou au secondaire m’effrayait profondément! C’est par hasard qu’un collègue d’université m’a mise sur la piste des chœurs professionnels. À l’UQAM, la vocation était l’enseignement, donc on n’entendait pas parler de cette possible vocation… Décidant de mettre toutes les chances de mon côté pour trouver du travail, en plus d’envoyer des CV aux commissions scolaires, j’ai contacté un premier chœur pour auditionner. En 1989, je chantai donc pour le maestro Patrick Wedd, directeur musical de l’Ensemble Vocal Tudor. À ma plus grande joie, je fus embauchée pour la saison 1989-90, et j’ai chanté avec ce chœur jusqu’en 1993, année où l’ensemble dû mettre fin à ses activités pour cause d’ennuis financiers… C’est avec une grande tristesse que j’appris alors que se terminait mon parcours avec ce chœur… Je n’oublierai jamais mon stress lors des premières répétitions! Pour mon premier concert avec les Tudor, on présentait les 6 motets de Bach! Je n’avais jamais chanté autant de notes en si peu de temps! J’ai adoré chanter sous la direction de Patrick Wedd, toujours souriant et une direction toujours inspirante… Je fus très peinée aussi d’apprendre le décès de mon premier chef en 2019…
Par la suite, c’est le chœur professionnel de l’OSM qui retenait ma candidature. Puis, un rêve devint réalité… après trois auditions, j’ai joint les rangs du Studio de musique ancienne de Montréal, sous la direction de celui qui devint un ami très cher : Christopher Jackson. J’auditionnais en sachant qu’il n’y avait pas de poste vacant dans la section d’altos, mais au bout du 3ème essai, Christopher a craqué sous ma ténacité! Et il s’en est suivi une incroyable complicité qui s’étala sur de nombreuses années. De 1992 à 2015 avec Christopher, et ensuite sous la direction d’Andrew McAnerney, je ne me suis jamais lassée du répertoire colossal de la musique ancienne. Le décès de Christopher en 2015 a brisé mon cœur, et celui de ses nombreux collègues, ses amis et son public. Je suis très reconnaissante que le SMAM existe toujours, et que je puisse continuer à m’y épanouir vocalement et musicalement.
Mon parcours de choriste a continué de s’enrichir que ce soit avec le Choeur de l’Opéra de Montréal, avec l’Ensemble vocal Viva Voce (Peter Schubert), avec La Chapelle de Québec (affilié aux Violons du Roy de Bernard Labadie) ou l’Ensemble Scholastica pour ne nommer qu’eux.
Mais pour arriver à vivre de l’art vocal, quand on est choriste, il faut ajouter beaucoup de petits contrats, et fort heureusement, les invitations en tant que soliste ne sont pas exclues! On complète les horaires avec des messes, des funérailles, des mariages, des invitations occasionnelles dans des chœurs en dehors du territoire habituel (Toronto Consort, Tafelmusik), et on se joint à des ensembles instrumentaux qui engagent des chanteurs occasionnellement comme solistes ou choristes (Ensemble Caprice, Les Idées Heureuses, Constantinople, Theatre of Early Music de Daniel Taylor). Les chœurs amateurs invitent aussi les choristes professionnels à venir booster le son et c’est toujours avec un grand plaisir que j’accepte ces invitations quand je suis disponible, parce que chanter avec une gang de joyeux lurons qui fait ça « juste pour le plaisir » me ramène aux sources. La joie de chanter, pure, simple, noble.
Il n’est pas difficile d’imaginer que les horaires de chanteuse sollicite un emploi du temps décousu, souvent sept jours et soirs par semaine. Et il y a les périodes creuses qui sont une constante menace. Les altos étant moins nombreuses que les sopranos, j’ai eu la chance d’avoir une certaine stabilité, et ayant une aisance dans d’autres répertoires (pop, jazz, musique du monde, etc), j’ai eu le bonheur de rencontrer des musiciens extraordinaires. Je ne peux passer sous silence la belle relation d’amitié que j’ai développé avec Karen Young, magnifique chanteuse et musicienne jazz ! D’autres collaborations de type « session en studio » pour les Cirque Knie, Cirque du Soleil, Cirque Éloize et publicités viennent compléter les opportunités de travail.
Aurais-je été intéressée par une carrière de soliste ? Je ne sais pas. Bien qu’aimant voyager, je ne suis pas certaine que j’aurais aimé vivre dans mes valises. J’aime le travail en équipe et les productions très diversifiées à géométrie variable; a capella, avec orchestre, à quatre chanteurs, à 50 chanteurs!
Je suis comblée et n’ai aucun regret; que du bonheur ! Le métier de choriste en musique classique est méconnu, marginal, et pourtant merveilleux! Et on y trouve une abondance de chanteurs talentueux, sublimes, attachants… de nombreux collègues sont maintenant des amis précieux.
Cette pandémie m’a donné la sensation qu’on m’avait amputée et elle m’a privé de ma deuxième famille…